Valentina Citterio en résidence au Théâtre Episcène
Dominique Fourcade en mots et en gestes. Une interview de Valentina Citterio en résidence au théâtre Episcène

Dans le cadre de sa démarche de soutien à la création scénique, le Théâtre Episcène accueille en résidence Valentina Citterio, danseuse et chorégraphe, pour cinq journées de résidence réparties entre février et mai 2025, dans le cadre de sa thèse en recherche-création à l’Université d’Avignon. Cette résidence va contribuer à la mise au point d’un spectacle composé de deux pièces chorégraphiques créées à partir de la poésie de Dominique Fourcade : nel blu, un solo, et ps :, une création collective qui met en scène huit danseuses contemporaines issues de l’Université d’Avignon qui ont fait partie ou qui font partie de la Compagnie universitaire de danse [Hannah et Jean-Henri]. Une sortie de résidence, sous forme d’une représentation publique, se tiendra le 17 mai à 20h30 au Théâtre Episcène.
Une sortie de résidence, sous forme d’une représentation publique, se tiendra le 17 mai à 20h30 au Théâtre Episcène.
Ce projet, mené en partenariat avec le Laboratoire ICTT (Avignon Université), le Théâtre Episcène (Avignon) et la BnF – Maison Jean Vilar (Avignon), s’inscrit dans le cadre de la thèse de Valentina : Les mots et les gestes : une approche chorégraphique de l’œuvre poétique de Dominique Fourcade.
Valentina, pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet de recherche-création ?
« Mon travail interroge l’interaction entre le langage poétique et la danse contemporaine, en explorant la manière dont le mouvement peut prolonger, traduire ou réinterpréter les mots. À travers ce dialogue entre le geste et la parole, la chorégraphie cherche à révéler les tensions et complémentarités entre ces deux formes d’expression.
Le solo de danse contemporaine Nel Blu (la couleur bleue est particulièrement présente dans l’œuvre poétique de Dominique Fourcade, au même titre que le ciel) a vu le jour en janvier 2024, et son développement évolue au fil du temps avec l’écriture en cours de Dominique Fourcade. Plusieurs étapes de ce travail ont déjà été présentées : une première étape au colloque « Arts vivants, écologie, politique : fabriques d’un nouveau relationnel » à l’Université de Laval et au Québec au mois de juin 2024 ; une deuxième étape au colloque « Médias & Arts » à l’Université d’Avignon au mois de septembre 2025.
Le travail de création collective, ps :, ainsi nommée du fait qu’elle se veut un prolongement scénique de l’écriture poétique, a débuté en septembre 2024. Il réunit huit étudiantes d’Avignon Université (Lola Etienne, Zoé Jaga, Olga Lavabre, Agathe Lecointre, Margot Leroy, Margaux Lopes, Jade Martin-Ducloux, Melynda Octave), qui partagent toutes une passion commune pour la danse et ont une formation préalable dans différents styles, allant de la danse contemporaine au classique, en passant par le jazz et le néoclassique. Elles ont également en commun d’avoir fait partie ou de faire partie actuellement de la « Compagnie Universitaire de danse [Hannah et Jean-Henri] » d’Avignon Université dirigée par Audrey Abonnen en collaboration avec la compagnie de Marseille « Ex-Nihilo ». Cette expérience leur donne l’opportunité d’acquérir une solide pratique de la scène et de travailler dans un cadre collectif, explorant diverses approches chorégraphiques.
Une restitution de l’ensemble des deux créations nel blu et ps : a été présentée en mars 2025 à la Maison Jean Vilar en collaboration avec la BnF-Association Jean Vilar dans le cadre du «Printemps des poètes».
« Dominique Fourcade, écrivain et poète français, est né en 1938 et a donc aujourd’hui 88 ans. C’est lui-même qui, au cours de nos échanges, m’a conseillé de travailler à partir de ses plus récentes publications, qu’il considère comme les plus abouties : à savoir la série composée de ça va bien dans la pluie glacée ? (2024), Israël / Palestine, refrain pour les deux pays (2023), tueuse, et tuante (2024), promenade criant j’me casse (2024). Ces derniers recueils ont été directement inspirés par les guerres qui déchirent actuellement le monde, et lui permettent de « canaliser l’afflux de souvenirs de la guerre et de la shoah » qui ont marqué sa jeunesse. »
Pourquoi avoir choisi de travailler précisément sur l’œuvre poétique de Dominique Fourcade ?


« La poésie de Dominique Fourcade marque une profonde transformation dans l’écriture poétique, liée à la complexité d’exprimer le monde contemporain dans lequel nous évoluons. Elle entretient un lien évident avec la danse. Dominique Fourcade s’est d’ailleurs beaucoup inspiré de la danse contemporaine pour écrire, et a travaillé spécifiquement sur les notions de temps et d’espace, ainsi que sur la voix. Les danseuses ont d’ailleurs toutes été très étonnées par sa façon d’écrire, qui se révèle très contemporaine, et donne encore plus de force au sens du poème. Nous travaillons sur la manière dont le corps en mouvement peut révéler, interpréter le langage poétique, et dialoguer avec lui.
D’un point de vue formel, les poèmes de Dominique Fourcade se présentent sous forme de blocs d’écriture justifiée, avec pas ou très peu de majuscules et de ponctuation. Il n’y a pas de vraie hiérarchie entre les différentes parties du texte. Pour lui « le travail de l’écriture, c’est de trouver des sons qui disent le sens », et il considère les mots comme des « sons-sens ». Le silence fait également partie intégrante de son écriture en tant qu’espace où le non-dit devient porteur de sens.
Cette forme d’écriture construit un rythme, dans lequel l’alternance de blocs avec des vers plus courts crée des suspensions. En termes de chorégraphie, cela correspond à des flux continus de mouvements suivis de ruptures ; les blancs correspondent à des pauses du corps.
Les poèmes nous racontent quelque chose dans leur forme. La forme est importante. Mais au-delà de la forme, c’est aussi le sens qui m’a séduite dans la poésie de Dominique Fourcade. Il écrit sur la réalité qui l’entoure, le sidère, l’horrifie, et les grands conflits actuels comme la guerre en Ukraine ou la guerre entre Israël et la Palestine ont nourri ses dernières œuvres. La notion du réel est toujours centrale pour lui, et perçue comme un tout englobant chaque fragment de la vie. Il puise dans le réel tel qu’il le ressent, y compris lorsqu’il s’agit de la pluie, « la pluie glacée »…


Quels ont été vos principaux partis-pris scéniques pour cette création ?
« Le processus de création du solo, tout comme la création collective, repose sur l’improvisation et la composition, ancrées dans l’instant présent. L’improvisation, pour moi, permet de tisser un lien entre son propre langage corporel et les poèmes fourcadiens. Ce qui crée également un parallèle avec l’écriture fourcadienne, dans laquelle l’improvisation joue un rôle central car elle permet de traduire sur papier les pensées telles qu’elles se manifestent.
Cette création explore des notions essentielles dans l’œuvre de Dominique Fourcade, à savoir l’espace, le temps. Chaque interprète, à travers une recherche sur l’improvisation et la composition, contribue à redéfinir l’expérience du temps et de l’espace scénique, en explorant différentes dynamiques de mouvement qui font écho à la fluidité et aux ruptures propres à l’écriture de Fourcade. Au travers de ce processus, nous voulons aussi mettre en jeu nos propres personnalités, et chacune des danseuses a pu proposer des phrases chorégraphiques personnelles.
Un autre élément important que j’ai mis en place est l’utilisation de journaux sur scène. C’est quelque chose que j’avais décidé depuis le début, pour traduire la réalité de ce qui se passe dans le monde. Nous travaillons avec des quotidiens récents qui sont lus en temps réel durant la performance, intégrant ainsi des fragments de l’actualité immédiate dans le geste chorégraphique. Au début de mon solo, le sol de la scène est recouvert de journaux ».
Par ailleurs, il était essentiel pour moi de créer un univers sonore qui puisse non seulement respecter l’essence des poèmes de Dominique Fourcade, mais aussi apporter une nouvelle dimension apte à être dansée. J’ai donc opté pour des musiques qui sont des compositions originales du compositeur italien Riccardo Curcio, que j’apprécie énormément ; pour le solo nel blu il s’agit d’une composition originale de Riccardo Curcio et de Luna Bertellini. Riccardo Curcio a enregistré sur la musique quelques extraits de textes de Dominique Fourcade, empruntés à flirt avec elle, ça va bien dans la pluie glacée ?, Israel-Palestine, refrain pour les deux pays et promenade criant j’me casse pour nel blu ; pour ps :, les textes sont tirés de promenade criant j’me casse. Pour flirt avec elle, il s’agit de la voix de Fourcade enregistrée par P.O.L ; les autres textes sont des enregistrements de ma voix. »
En quoi cette résidence au Théâtre Episcène est-elle importante dans l’avancée de ce projet ?
Le Théâtre Episcène nous offre un cadre de travail particulièrement propice à l’expérimentation et à la création, aussi bien pour nel blu que pour ps :. L’accueil chaleureux et l’accompagnement attentif de l’équipe permettent de travailler dans des conditions optimales, en facilitant la mise en place des répétitions et de la représentation que nous donnerons le 17 mai.
L’intimité de ce théâtre renforce l’impact immersif des performances, en créant une proximité entre les interprètes et le public. Pour nel blu, cela a permis d’accentuer l’effet d’instantanéité du spectacle, avec une résonance particulière des textes lus en temps réel. Pour ps : cette configuration a favorisé une interaction fluide entre les huit danseuses, en renforçant le sentiment de collectif et la connexion entre les corps et l’espace scénique.
Le soutien technique offert par le Théâtre Episcène, notamment en ce qui concerne la lumière et l’aménagement de l’espace, nous est précieux pour affiner la mise en scène et mettre en valeur la dramaturgie des deux spectacles. De plus, le Théâtre Episcène se révèle être un partenaire essentiel pour donner de la visibilité à ces créations et les inscrire dans une dynamique de diffusion plus large.
Quels prolongements, quelle suite envisagez-vous de donner à ce travail ?
Le projet nel blu et la création collective ps : s’inscrivent dans une dynamique de recherche-création qui interroge l’interaction entre la danse contemporaine et la poésie de Dominique Fourcade. Ces deux créations ont déjà permis d’explorer des formes d’improvisation et de composition en temps réel, mais plusieurs perspectives d’évolution s’ouvrent pour prolonger cette démarche.
D’un côté, nel blu pourrait être adapté à d’autres contextes scéniques ou à des espaces non conventionnels, où l’interaction entre le geste, le texte et l’espace pourrait être encore approfondie. Il serait aussi intéressant d’expérimenter avec des dispositifs multimédias, comme la projection vidéo ou le son immersif, pour renforcer la relation entre la danse et l’écriture poétique.
D’un autre côté, ps :, en tant que création collective, ouvre la voie à des développements dans l’enseignement artistique et la transmission. L’un des prolongements possibles serait d’élargir ce type de travail à d’autres groupes et contextes académiques, en développant des ateliers autour du rapport entre langage et mouvement. La structure du spectacle, basée sur l’urgence et la tension des textes de Fourcade, pourrait aussi évoluer en intégrant d’autres matériaux textuels et en expérimentant différentes formes de composition en groupe.

Valentina Citterio
Née en Italie le 5 février 1999, Valentina est actuellement doctorante à l’Université d’Avignon, au sein du laboratoire ICTT, en études théatrales, label recherche-création et en cotutelle avec l’Università degli Studi de Milan en études linguistiques, littéraires et interculturelles. Elle étudie en particulier la danse contemporaine en lien avec l’œuvre poétique de Dominique Fourcade.
Titulaire d’un diplôme de danseuse contemporaine obtenu en 2019 à Milan, elle a mené divers projets en tant que danseuse et chorégraphe, et a intégré en 2022 la « Compagnie Universitaire de danse [Hannah et Jean-Henri] » dirigée par Audrey Abonnen qui collabore avec la compagnie marseillaise « Ex-Nihilo », avec laquelle elle a performé en 2023 et 2024 au Festival à Corps à Poitiers, au CDCN Les Hivernales à Avignon dans le cadre du festival « Danses nouvelles générations » et à l’Opéra d’Avignon dans le cadre de l’événement « Campus sonore ». Elle a été également en charge de la chorégraphie du spectacle théâtral de Helen Landau intitulé Slave Island qui sera présenté en première en mars 2025 au Théâtre L’Archipel à Avignon dans le cadre du projet européen « TraNet ». Je le mettrais au passé et j’ajouterais aussi les autres présentations de «nel blu» : au colloque « Arts vivants, écologie, politique : fabriques d’un nouveau relationnel » à l’Université Laval, au Québec au mois de juin 2024 et une deuxième étape au colloque « Médias & Arts » à l’Université d’Avignon au mois de septembre 2025. Et pour les deux, «nel blu» et «ps :» la restitution à la Maison Jean Vilar en collaboration avec la BnF-Association Jean Vilar dans le cadre du «Printemps des poètes» en mars 2025.
